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Cosmétique - Vers une formulation plus verte

Rédigé par: 

Date de publication :
Mars 2011

 

Mots-clés :
biosourcé, bioproduit, biomasse, végétal, cosmétique, ingrédients, actifs

Historiquement utilisatrice de matières premières végétales, l’industrie cosmétique se tourne aujourd’hui vers des procédés plus verts, en intégrant des ingrédients issus du végétal mais surtout des substances nécessitant moins d’énergie pour leur formulation.

 

« Traditionnellement, l’industrie cosmétique utilisait des matières grasses issues du végétal. Dans les années 70, nous avons constaté un mouvement pour l’utilisation de produits issus du pétrole et des silicones. Aujourd’hui, la tendance s’est inversée pour un retour au végétal », analyse Claude Fromageot, directeur de la R&D chez Yves Rocher. La société revendique 50 ans d’expériences dans la création d’extraits de plantes et l’utilisation du végétal en cosmétologie. Aujourd’hui, le directeur de la R&D se félicite d’employer «  plus de 80 % de matières d’origine naturelle dont l’eau ». Une tendance confirmée par Julie Saintecatherine, qui travaille pour la division Support technique et marketing de Croda. Elle constate que «  deux tendances se démarquent actuellement. Il y a les industriels qui font leurs premiers pas en allant vers des formules plus « vertes » et ceux qui utilisaient déjà des ingrédients végétaux et qui se tournent vers les produits bio, Ecocert, etc.  ».

Un grand nombre de fournisseurs d’ingrédients actifs et d’excipients pour l’industrie cosmétique propose désormais des produits Ecocert. Dans le secteur cosmétique la démarche vise à «  privilégier les ressources naturelles, valoriser l’utilisation d’ingrédients issus de l’agriculture biologique, garantir le respect de l’environnement et réduire les emballages  », précise Ecocert.
L’organisme publie une liste de plus de 230 fournisseurs de matières premières répondant à ces critères. Parmi eux, on trouve notamment des grands chimistes comme Rhodia, DuPont, Clariant, Roquette, Seppic, Cognis ou Croda. Seppic par exemple s’est associé avec Vedeqsa pour proposer un conservateur labellisé Ecocert. « Jusqu’à l’année 2010, nous n’avions pas de produits approuvés naturels par Ecocert dans notre catalogue. Pour répondre à la demande grandissante, un premier pas a consisté à faire valider nos produits qui y répondaient déjà. Aujourd’hui, nous comptons 47 produits approuvés naturels par Ecocert chez Croda. Nous entrons maintenant dans une démarche de création de gammes répondant à ce label », indique Julie Saintecatherine (Croda). Chez Seppic, Chantal Amalric, directrice marketing de la division Cosmétique, précise compter 25 ingrédients (émulsionnants, conservateurs, actifs, etc.) certifiés Ecocert.

Pourtant, il ne suffit pas d’avoir des produits Ecocert pour avoir les faveurs de l’industrie cosmétique. «  La matière végétale est une ressource intéressante et pertinente dans notre métier », indique Claude Fromageot  (Yves Rocher). Il met néanmoins en garde contre l’utilisation à outrance de  substances végétales comme les huiles essentielles. Car si l’utilisation de matières premières issues du végétal peut représenter un élément marketing vis-à-vis des consommateurs, l’origine des ingrédients ne suffit pas pour vendre un produit cosmétique. Ainsi, si Laurent Gilbert, directeur R&I des Sciences de la matière de L’Oréal indique qu’« en volume, 40 % des matières premières employées sont d’origine végétale », il souligne l’importance de la performance du produit cosmétique, «  un savant équilibre ». Le géant de la cosmétique utilise ses matières issues du végétal pour tout types d’applications afin de «  couvrir l’ensemble du spectre ».

 

Des difficultés pour la substitution

« Il ne s’agit pas de substituer un produit issu du pétrole par un autre issu du végétal. Nous cherchons à développer la meilleure formule possible », indique Laurent Gilbert. En effet, la question de la performance du produit reste primordiale. La substitution ne semble ainsi pas à l’ordre du jour dans l’industrie cosmétique. « Le turnover des produits est assez rapide dans cette industrie. Finalement, les opportunités d’aller vers plus de naturel résident le plus souvent dans le lancement de nouveaux produits », confie Stéphane Lacoutière, responsable marketing France de Cognis, racheté en 2010 par BASF.

De plus, la substitution « reste compliquée », selon Laurent Gilbert (L’Oréal). Des difficultés éprouvées également par Claude Fromageot d’Yves Rocher. « Le premier problème que nous rencontrons, ce sont les matières végétales qui sentent fort, notamment les extraits huileux dits apolaires qui concentrent des molécules très typées en odeur. Elles peuvent également être colorées. Ensuite, un deuxième problème  est la solubilité de ces ingrédients. Il faut être capable de les formuler », témoigne-t-il. Le directeur de la R&D d’Yves Rocher cite l’exemple de l’Elixir 7.9 qui combine sept ingrédients issus des végétaux à un gel, lui aussi végétal, qui permet d’émulsionner ces derniers. Cette formule atteint un taux de 98 % de matière première végétale. «  Nous avons testé plus de 200 formulations pour ce produit. En général, nous en réalisons une vingtaine. De plus, la stabilité des produits est cruciale. Nous avons développé des recettes pour travailler sur l’oxydation », souligne Claude Fromageot.

Outre les difficultés rencontrées pour la formulation, et malgré l’offre grandissante des fournisseurs, Laurent Gilbert (L’Oréal) note un manque de visibilité pour le sourcing de ces matières. «  Aujourd’hui, nos développements se font aussi en fonction des disponibilités des produits. Des structures se mettent en place et vont rendre accessibles des substances biosourcées. Nous commencerons à les utiliser quand nous serons assurés des conditions tant en termes de volume que de prix. Ça prendra encore 5 à 6 ans.  » Les cosmétiques constitués à 100 % de matières premières végétales devront peut-être attendre encore un peu pour les marchés à gros volumes.

 

Au-delà du sourcing végétal, les industriels de la cosmétique se tournent vers la chimie verte. «  Nous appliquons les grands principes de la chimie verte, en utilisant des matières premières renouvelables. Mais aussi en développant des procédés économes en énergie, qui génèrent le moins de déchets possibles. Notre objectif étant de produire des matières sans effet secondaire sur la santé et sans impact sur l’environnement », indique le directeur R&I de L’Oréal. Le groupe français travaille donc également sur la catalyse, l’utilisation de biotechnologies blanches comme la bioconversion, etc. En 2006, L’Oréal a ainsi débuté la commercialisation du Pro-Xylane, son premier principe actif anti-age conçu selon les principes de la chimie verte. Cet actif, conçu par biomimétisme pour stimuler la production de protéoglycanes présents dans le derme, est synthétisé en deux étapes, en utilisant un catalyseur et de l’eau au lieu de solvants organiques et en minimisant les consommations d’eau et d’énergie . « Nous avons les capacités en interne pour développer de nouveaux actifs en utilisant les principes de la chimie verte et les biotechnologies. Nous avons lancé le Pro-Xylane et nous en lancerons d’autres », assure Laurent Gilbert. Le groupe travaille également avec ses fournisseurs pour accéder à des substances issues des mêmes principes.

Et l’offre se développe. « Pour les 2 000 ingrédients avec lesquels nous travaillons, de plus en plus de fournisseurs nous proposent des produits issus d’une chimie plus propre, ce qu’on appelle la chimie verte. C’est un mouvement qui démarre  », constate Claude Fromageot (Yves Rocher). Chez Seppic, Frédéric Daubié, directeur de la stratégie et de la communication, précise : « 35 % des intrants de notre principale usine sont d’origine végétale. De plus, cette usine est certifiée ISO 14 001, 18 001 et Afssaps, ce qui donne des garanties supplémentaires de bonnes pratiques de fabrication. » Le distributeur de produits chimiques Brenntag a intégré à son portefeuille de produits pour la cosmétique, les produits d’Archimex qui utilisent les microondes pour ses procédés d’extraction, se passant ainsi de l’utilisation de solvants. Sans oublier Cognis-BASF qui propose des produits issus de l’oléochimie selon les principes de la chimie verte.

 

Des procédés respectueux de l’environnement

Et l’industrie cosmétique ne se limite pas à vouloir des substances plus « vertes », elle recherche des matières premières pouvant être formulées selon les principes de la chimie verte. Ces substances, pas forcément biosourcées, interviennent dans des procédés plus propres. Ainsi, L’Oréal s’est fixé de réduire de 50 % ses émissions de gaz à effet de serre, ses déchets générés et sa consommation d’eau par produit finis. Pour répondre à cette tendance, les fournisseurs d’ingrédients proposent aujourd’hui des produits plus faciles à mettre en œuvre. «  Nos productions reposent sur des mélanges. Généralement, nous devons chauffer à 80 °C puis réduire la température pendant le mélange. Aujourd’hui, certains ingrédients peuvent être travaillés à 30-35 °C. Nous pouvons donc réaliser des émulsions à froid. Cela fait gagner du temps, de l’argent et permet de réduire la consommation énergétique », souligne Claude Fromageot (Yves Rocher).

Et les offres se multiplient. Seppic commercialise une gamme de polymères issue d’un procédé (latex inverse) qui ne génère pas de déchet. Ce polymère liquide permet de faire des émulsions sans chauffer. La filiale d’Air Liquide a également breveté les « recettes » Geltrap et Twintrap pour la mise en œuvre de nouvelles technologies d’émulsion, elles aussi sans chauffage. Chez Cognis- BASF, Stéphane Lacoutière, marketing manager pour la France, cite l’émollient Cetiol C5 qui permet de réaliser des émulsions sans silicone avec un bon « sensoriel ». Inter’Actifs distribue la gamme Jeesperse PW de Jeen International, des poudres de cires brevetées pour la formulation à froid d’hydrogels sans émulsionnant ou de crèmes plus onctueuses. «  Les utilisateurs n’ont pas besoin de chauffer ni de mélanger pour obtenir l’émulsion. Cela permet de limiter les consommations d’énergie  », indique Florence Pouvreau, responsable technique et marketing d’Inter’Actifs. Safic Alcan propose notamment des sucroesters (Alfa Chemicals) aux propriétés multiples qui permettent de formuler aussi bien à froid qu’à chaud. La société compte également dans son portefeuille une gamme d’exfoliants et d’agents de texture (Micropowders Inc.) produite à partir d’acide polylactique.

 

Pourtant, si l’offre se développe, les industriels de la cosmétique doivent s’attendre à un certain surcoût pour ces nouvelles substances. Malgré des coûts qui peuvent être plus élevé, l’industrie poursuit son développement vers des procédés et des produits plus durables.

 

Bilan carbone, provenance des matières, etc. : des informations de plus en plus demandées

«  Depuis deux ans, les questionnaires fournis par les clients ont évolué. Maintenant, nos clients nous demandent fréquemment la nature des plantes utilisées pour l’élaboration de nos substances, le lieu de culture, etc. », constate Chantal Amalric, directrice marketing de la division Cosmétique de Seppic. Des évolutions que note également Virginie Richard, responsable Affaires réglementaires Ingrédients cosmétiques, nutraceutique de Safic Alcan. Florence Pouvreau, responsable technique et marketing chez Inter’Actifs cite également des demandes pour des bilans carbone. Ainsi, de la provenance des matières premières utilisées par leurs fournisseurs aux bilans carbone de la production des ingrédients cosmétiques, les industriels veulent s’assurer de la réduction de l’impact environnemental de leur produits.

Chez L’Oréal, par exemple, le facteur E vise à calculer la quantité de déchets générés par rapport à la quantité de produit formé. Le groupe français regarde également le pourcentage de carbone renouvelable dans la formulation finale. Reste à définir le périmètre des bilans carbone et analyses de cycle de vie. Comme le souligne Chantal Amalric qui voit dans cette tendance des perspectives d’innovation. «  La réflexion sur l’impact environnemental peut mener très loin. Le périmètre retenu pour le bilan carbone peut en effet inclure l’acte de consommation. Cela ouvre la voie à de nouveaux ingrédients qui peuvent modifier le geste du consommateur. Par exemple, un gel douche à effet chauffant réduirait la quantité d’eau chaude à utiliser.»

 

Ces cosmétiques qui ne peuvent pas devenir « 100 % végétal »

Les ingrédients issus du végétal ont beau proliféré, certains produits cosmétiques ne pourront pas devenir 100 % végétal. Ou alors difficilement et au prix d’une diminution des performances. «  Dans les produits solaires, on en trouve pas encore de soins à 100 % végétal dont la protection soit véritablement efficace ! », note Chantal Amalric, directrice marketing de la division Cosmétique de Seppic qui cite également les produits capillaires pour lesquels «  il n’existe pas d’agents conditionneur « verts » efficaces ». Aujourd’hui, si certains fournisseurs proposent des alternatives aux silicones et des conservateurs « verts », Claude Fromageot, directeur de la R&D d’Yves Rocher, cite la difficulté de trouver des conservateurs « naturels ». «  Par ailleurs, il est très difficile de se passer de silicones dans certains mascaras waterproof. Et pour les vernis à ongle, il n’y a pas aujourd’hui de possibilité pour avoir un sourcing végétal uniquement », ajoute-t-il.

 

Rédigé par AURÉLIE DUREUIL, Formule Verte

Crédits photos: Yves Saint Laurent (illustration 1), Yves Rocher (2), Seppic (3)