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Agrosolvants - Une opportunité de développement à saisir

Rédigé par: 

Date de publication :
Décembre 2012

 

Mots-clés:
biosourcé, bioproduit, biomasse, végétal, agrosolvant, peintures, détergents, revêtements, produits phytosanitaires ou pharmaceutiques

 

Malgré les avantages environnementaux qu’ils procurent, les agrosolvants peinent encore à se substituer aux solvants pétrochimiques utilisés dans l’industrie. Cependant, les producteurs demeurent optimistes quant à l’avenir du marché, dans un contexte de raréfaction du pétrole et de durcissement de la réglementation.

 

Peintures, détergents, revêtements, produits phytosanitaires ou pharmaceutiques… Les solvants sont utilisés pour de nombreuses applications industrielles. Près d’un millier de ces substances capables de dissoudre ou diluer d’autres produits existent, dont une centaine d’usage courant dans l’industrie.
Cependant, la raréfaction du pétrole et la réglementation plus stricte sur les produits chimiques obligent les industriels à trouver des alternatives plus respectueuses de l’environnement à l’utilisation de ces solvants. En effet, les solvants pétrochimiques, en majorité nocifs et inflammables, représentent près de 29 % des composés organiques volatils (COV) émis dans l’atmosphère, selon le Centre interprofessionnel technique d’études de la pollution atmosphérique (CITEPA). « Nous constatons de la part des industriels, notamment ceux du coating, une demande croissante pour la substitution de molécules pétro-sourcées », indique Jacky Vandeputte, responsable projets et biomolécules au pôle de compétitivité IAR.

Parmi les alternatives proposées, les agrosolvants constituent une solution de substitution prometteuse, qui réunit exigences d’efficacité des industriels et impact environnemental réduit. « Les agrosolvants, comme tous les produits de “chimie renouvelable“, doivent répondre à plusieurs objectifs : offrir un profil environnemental meilleur que les produits d’origine fossile, mais aussi avoir des caractéristiques techniques intéressantes tout en restant compétitifs », souligne Alain Lemor, responsable R&D chez Novance. Représentant un marché européen d’environ 60 000 tonnes par an, les agrosolvants peuvent être principalement classés selon leur provenance : bois, plantes de grande culture (amylacées ou sucrières) et espèces oléagineuses.

Les solvants issus de la filière bois sont majoritairement des dérivés des terpènes, issus de l’essence de térébenthine provenant notamment des pins. « À partir de ce produit, il est possible d’obtenir des alcools ou des hydrocarbures terpéniques », détaille Eric Moussu, directeur commercial et marketing de DRT. Avant d’ajouter : « Les hydrocarbures terpéniques sont destinés principalement aux secteurs des revêtements et des peintures, tandis que les alcools s’adressent à ceux du dégraissage et nettoyage». Les terpènes peuvent être également issus de l’industrie papetière, via la récupération d’essence de papeterie. « Cette industrie permet également de récupérer du tall-oil contenant des acides gras, qui peuvent servir de base pour la fabrication d’autres agrosolvants », précise Eric Moussu.

La filière des plantes de grande culture permet d’obtenir des solvants tels que l’éthanol, le butanol ou le 1,3 propanediol par fermentation de sucres issus de l’hydrolyse de plantes de grandes cultures ou de coproduits. « Ces solvants pourront être utiles mais d’autres molécules agro-sourcées comme les alcools amyliques, le glycérol, l’acide succinique et le furfural serviront de blocs pour la fabrication de solvants originaux», précise Cédric Ernenwein, responsable R&D d’ARD, centre d’innovation et de valorisation du végétal. La plupart des solvants obtenus par cette filière sont généralement utilisés dans le secteur des peintures, encres et adhésifs (PEA) comme diluant et du nettoyage (dégraissant). Le bioéthanol, qui constitue également une base pour l’élaboration d’autres solvants, est surtout employé dans l’industrie pharmaceutique, cosmétique et du nettoyage.
Parmi les agrosolvants issus de plantes de grande culture, la société Pennakem s’est spécialisée dans les dérivés du furfural à partir de résidus de canne à sucre et de maïs. « Nous proposons trois types de produits issus du furfural biosourcé : du tétrahydrofurane (THF), du méthyl-THF, et du tétrahydrofurfuryl alcool (THFA) », liste Norbert Patouillard, responsable des ventes et marketing Europe chez Pennakem. Avant d’ajouter : « Le méthyl-THF est notamment utilisé en synthèse organique lors de réactions d’organolithiens, et le THFA comme solvant en agrochimie et pour le dégraissage des surfaces».

Enfin, les plantes oléagineuses comme le colza, le tournesol permettent d’élaborer des solvants à base d’acides gras, notamment des esters méthyliques d’origine végétale. Ce type de produit est appliqué notamment dans le domaine des traitements phytosanitaires (en tant que solvant et adjuvant), des revêtements (en substitution des fluxants), ou de l’imprimerie (en remplacement notamment des huiles minérales). « Le glycérol issu des huiles végétales aide également à synthétiser des solvants comme le carbonate de glycérol, ou des esters et éthers de glycérol tels que le Solketal », détaille Alain Lemor (Novance).
De son côté, Rhodia Coatis a lancé sa gamme Augeo d’agrosolvants issus de matières premières renouvelables. « Cette gamme est fabriquée à partir de glycérine, coproduit de la fabrication de biodiesel», précise Vincent Kamel, directeur de la société. Avant d’ajouter : « Ces produits sont utilisés notamment dans les secteurs de la peinture, des revêtements et du nettoyage industriel ».

 

Encore quelques inconvénients à maîtriser

Les agrosolvants offrent de nombreux avantages environnementaux et peuvent se substituer à des composés pétrochimiques dans de nombreux domaines d’application. Cependant, ils peinent encore à s’imposer sur le marché des solvants. « Le frein principal des agrosolvants reste le coût, jusqu’à 50 % plus cher pour de gros volumes », affirme Norbert Patouillard (Pennakem). Avis que partage Cédric Ernenwein (ARD) : « Dans la grosse majorité des cas, il y a moyen de substituer par des agrosolvants, mais il reste la difficulté de la compétitivité de coût». « Mais la notion de compétitivité est relative : elle évolue très vite compte tenu de la volatilité du prix du pétrole », estime Alain Lemor (Novance). « Pour amortir le surcoût de ces solvants, il est nécessaire d’avoir une vision d’ensemble. Les sources d’économies pourront intervenir non seulement sur le solvant mais aussi sur la ligne de production, et les procédés de traitement », estime Cédric Ernenwein.

Pour Eric Moussu (DRT), le principal frein n’est pas forcément celui du coût : « Le verrou est principalement technologique. Les performances fournies par la majorité des agrosolvants ne sont pas encore équivalentes à celles des solvants pétrochimiques, notamment pour les applications de nettoyage et de dégraissage ».

Autre point à améliorer : la réglementation. « Après avoir rempli leur fonction (solubilisation, extraction, etc.), ils disparaissent par évaporation. Les directives européennes 99/13/CE et 2004/42/CE ont pour objectif de réduire les émissions de COV. Il serait judicieux que la réglementation traite différemment les agrosolvants même volatils et les solvants pétroliers. En effet, les solvants issus des agroressources sont renouvelables (par la photosynthèse), alors que les solvants d’origine pétrochimique produisent des COV ou du CO2 supplémentaires lors de leur élimination finale », indique Alain Lemor.

En outre, les agrosolvants possèdent des propriétés physico-chimiques légèrement différentes des solvants d’origine pétrochimique, limitant leur application dans certains secteurs. Par exemple, leur faible volatilité et leur caractère lipophile limitent également leur application dans le secteur de la peinture ou du nettoyage. « La facilité d’utilisation n’est pas encore aussi développée que pour certains des solvants pétrochimiques, notamment au niveau du séchage », souligne Cédric Ernenwein (ARD).

Pour parvenir à faire sauter les verrous technologiques, les industriels du secteur ont entamé plusieurs travaux de recherche. « Les agrosolvants font actuellement l’objet de deux projets de recherche : Delta 3 et Agrosolvants », indique Jacky Vandeputte.

Le projet Delta 3 labellisé par le pôle de compétitivité IAR et porté par Rhodia a commencé en 2010 suite à l’appel à projets éco-industries lancé en décembre 2009. Il vise à développer des solvants à bonne empreinte environnementale pour des applications dans les secteurs du décapage, du dégraissage, du nettoyage et de la formulation de revêtements. Ce projet associant notamment des producteurs de solvants d’origine différente (Rhodia, Novance et DRT) possède un budget de 4,9 millions d’euros sur trois ans dont 1,6 million financé par le ministère de l’Industrie. « Chaque société n’avait pas nécessairement de levier suffisant pour formuler des agrosolvants encore plus élaborés. Nous avons donc décidé de mutualiser les moyens au travers de ce projet », indique Eric Moussu (DRT).

Par ailleurs, l’autre projet dénommé Agrosolvants se finit actuellement, après quatre années de travaux. Doté d’un budget de deux millions d’euros, ce projet porté par ARD réunit universités (Reims et Compiègne), centres (Cetim et CRITT MDTS de Charleville- Mézières), et partenaires industriels (Phyteurop) autour de la mise au point et l’évaluation de solvants verts issus des agro-ressources régionales. Ces produits élaborés au cours de ce projet visent les domaines de la détergence industrielle (dégraissage des pièces mécaniques) et de l’agrochimie (formulation
de produits phytosanitaires moins toxiques). « Nous avons sélectionné ces deux domaines d’application car la variation de prix est moins préoccupante que pour d’autres secteurs industriels», indique Cédric Ernenwein, coordinateur du projet. Avant de continuer : « Les travaux réalisés ont permis de déboucher sur la production de solvants à l’échelle pilote, à des formulations innovantes en cours d’essais dans les deux domaines d’application du projet, à la publication de plusieurs articles scientifiques et aux dépôts de brevets ». « Il reste encore des travaux de recherche et développement à mener notamment sur les agrosolvants d’extraction ou les agrosolvants de synthèse», ajoute Jacky Vandeputte.

 

 

Malgré un marché actuel des agrosolvants peinant à décoller (voir tableau), les industriels du secteur demeurent plutôt optimistes quant à l’avenir du marché. Pour preuve, certains prévoient déjà d’agrandir leur gamme de solvants.
Chez Rhodia, une collaboration avec la société Cobalt Technologies vise à produire des solvants bio-sourcés à partir de bio-nbutanol issu de bagasse. « Nous cherchons à développer des produits verts de seconde génération, en utilisant par exemple les déchets de la production de biocarburants », souligne Vincent Kamel.
De son côté, la société Pennakem cherche à développer de solvants à partir de coproduits, comme le confirme Norbert Patouillard : « Nous nous impliquons actuellement dans de nouveaux partenariats, afin de développer et fabriquer des produits à faible teneur en COV, et ainsi limiter leur émission dans l’environnement ».
La société DRT, quant à elle, compte notamment se développer sur la récupération des résidus de l’industrie papetière. « Nous voulons également proposer une offre technique plus élaborée d’agrosolvants, grâce au travail effectué dans le cadre du projet Delta 3 », ajoute Eric Moussu.
Cédric Ernenwein estime que les solvants à base végétale devront s’imposer progressivement : « Il est préférable de s’attaquer à des marchés de niche dans un premier temps, avant éventuellement d’atteindre des marchés plus larges ».

Quant à l’intérêt futur de l’industrie pour ces produits, il ajoute : « Il y a une prise de conscience de la raréfaction du pétrole, et nous nous orientons de plus en plus vers des produits plus durables. L’évolution de la réglementation donne une opportunité de développement aux agrosolvants. Elle incite les industriels à investir, ce qui permet d’adapter les outils et les solvants utilisés », souligne Cédric Ernenwein. Mais à certaines conditions comme l’indique Eric Moussu : « Il est nécessaire de ne pas sacrifier la performance technique au profit de la performance écologique».

 

Rédigé par DINHILL ON, Formule Verte

Crédits photos/graphiques: DRT (illustration n°1), Formule Verte (2), Rhodia (3), Ademe-Ministère de l'agriculture et de la pêche (4)